A votre avis, la culture est-elle le propre de l’humain ?
Lorsqu’on évoque le mot « culture », on pense souvent aux traditions humaines transmises de génération en génération, à l’art ou encore à la littérature. Depuis quelques dizaines d’années, la science remet en question l’idée selon laquelle la culture serait l’apanage exclusif de l’être humain.
La culture chez les animaux non humains
Les chercheurs ne sont aujourd’hui pas tous d’accord sur la définition de la culture chez les animaux non humains. Il en ressort tout de même deux caractéristiques essentielles : 1) le fait que la culture découle nécessairement d’une information transmise socialement et non de connaissances ou de compétences acquises individuellement, ni d’informations héritées génétiquement ; 2) la culture engendre une similarité au sein d’un même groupe, mais aussi des différences entre les groupes. Autre point intéressant, l’information transmise socialement devrait être généralisée par les individus qui l’utilisent dans de nouveaux contextes, démontrant que des règles générales — plus que des informations limitées à des situations spécifiques — peuvent être transmises culturellement1.
Aujourd’hui, plusieurs exemples de culture chez les animaux non-humains ont été démontrés en éthologie. L’exemple le plus connu est sûrement le cas décrit par M. Kawai en 1965. Des macaques japonais de l’île de Koshima trempent leur patate douce dans l’eau afin de les débarrasser du sable avant de les manger. Ce comportement est au départ produit par une des femelles du groupe. Ensuite, la plupart des mères effectuent ce lavage qui sera rapidement adopté par les jeunes macaques. Cette nouvelle façon de faire se propage ensuite chez la majorité des membres de la colonie.
Les différents cas observés
Les chimpanzés sont célèbres pour leur capacité à fabriquer et utiliser des outils. Dans certaines régions d’Afrique, ils utilisent des brindilles pour « pêcher » des termites, dans d’autres, ils cassent des noix à l’aide de pierres. Ce qui est fascinant, c’est que ces pratiques varient selon les groupes géographiques — un peu comme des traditions locales — et sont transmises de génération en génération2.
Un groupe de dauphins femelles en Australie a été observé en train d’utiliser des éponges marines lors de leur recherche de nourriture sur les fonds marins. Cette technique transmise de mère en fille est unique à cette population et leur permettrait d’obtenir de nouveaux aliments3,4.
On peut citer également un exemple chez les oiseaux. En Angleterre, dans les années 50, les laitiers distribuaient les bouteilles de lait chaque matin sur le palier des maisons. Il a été observé des mésanges perçant l’opercule d’aluminium des bouteilles pour en boire le contenu. Cette technique s’est rapidement répandue à toutes les mésanges du pays5.
On trouve aussi la culture chez les insectes. Dans une étude sur le bourdon terrestre, les chercheurs ont appris à quelques individus à tirer sur une corde pour obtenir une récompense, cette tâche n’étant pas naturelle pour ces insectes. Ces individus modèles ont ensuite appris à d’autres individus cette technique de recherche de nourriture qui s’est transmise de génération en génération6.
Ceci n’est qu’une infime partie des exemples existants. Reconnaître la culture chez les animaux non-humains change profondément notre regard sur eux. Cela nous pousse à voir les animaux non plus comme de simples machines biologiques (et heureusement cela fait longtemps que cette vision n’est plus d’actualité), mais comme des êtres intelligents, capables d’innovation et de transmission. Cette prise de conscience a aussi des implications en matière de conservation : protéger un groupe, c’est aussi protéger son patrimoine culturel. Enfin, cela nous pousse à se rendre compte que les frontières entre les animaux humains et non-humains n’existent finalement pas.
Dr Pauline SALVIN
Docteure en éthologie et formatrice
Références :
1 Danchin, E., & Wagner, R. H. (2010). Inclusive heritability: Combining genetic and non-genetic information to study animal behavior and culture. Oikos, 119(2), 210–218. https://doi.org/10.1111/j.1600-0706.2009.17640.x
2 Whiten, A., Goodall, J., McGrew, W. C., Nishida, T., Reynolds, V., Sugiyama, Y., Tutin, C. E. G., Wrangham, R. W., & Boesch, C. (1999). Cultures in chimpanzees. Nature, 399(6737), 682– 685. https://doi.org/10.1038/21415
3 Krützen, M., Mann, J., Heithaus, M. R., Connor, R. C., Bejder, L., & Sherwin, W. B. (2005). Cultural transmission of tool use in bottlenose dolphins. Proceedings of the National Academy of Sciences, 102(25), 8939–8943. https://doi.org/10.1073/pnas.0500232102
4 Krützen, M., Kreicker, S., MacLeod, C. D., Learmonth, J., Kopps, A. M., Walsham, P., & Allen, S. J. (2014). Cultural transmission of tool use by Indo-Pacific bottlenose dolphins (Tursiops sp.) provides access to a novel foraging niche. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 281(1784), 20140374. https://doi.org/10.1098/rspb.2014.0374
5 Fisher, J., & Hinde, R. A. (1949). The opening of milk bottles by birds. British Birds, 42, 347–357.
6 Alem, S., Perry, C. J., Zhu, X., Loukola, O. J., Ingraham, T., Søvik, E., & Chittka, L. (2016). Associative mechanisms allow for social learning and cultural transmission of string pulling in an insect. PLOS Biology, 14(10), e1002564. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.1002564